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Sept idées pour pédaler même en périphérie des villes
Revue Terra Eco, 8 avril 2015
Permettre la traversée des parcs, supprimer les feux, réduire la vitesse… Voici quelques solutions pour rendre le parcours du cycliste banlieusard moins risqué.
Inconditionnels du biclou et pourfendeurs de la voiture, « essayez donc de passer de Saint-Ouen à Saint-Denis ! », lance Frédéric Héran, économiste spécialiste du vélo, prenant l’exemple de ces deux communes de Seine-Saint-Denis. Si vous relevez le défi, « d’abord vous allez vous faire dépasser par des semi-remorques sur le boulevard Jean Jaurès, à Saint-Ouen. Puis, vous devrez mettre pied à terre pour franchir un terre-plein, avant de vous retrouver devant un raccordement tangentiel, cette voie qu’empruntent les voitures qui sortent à toute berzingue de l’autoroute », détaille l’économiste. Loin des centres-villes, de leurs zones 30 et de leurs pistes cyclables, boulevards périphériques, bretelles d’autoroutes et voies ferrées infranchissables imposent aux cyclistes des détours, allongent leurs trajets et dissuadent finalement le banlieusard d’enfourcher sa monture pour aller au turbin.
« Rapidité, souplesse, accessibilité. » L’éloge des qualités de la bicyclette, énumérées par Pierre Serne, vice-président du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des transports, s’applique difficilement aux territoires balafrés de « coupures urbaines », « principal frein à l’essor du vélo en périphérie », confirme Frédéric Héran. Pour y remédier, le Club des villes et des territoires cyclables, présidé par le même Pierre Serne, organisait, le 31 mars dernier, la journée « Vélos sans coutures », une rencontre rassemblant les acteurs de la mobilité autour d’un objectif : rafistoler les villes pour inciter leurs habitants à se mettre en selle. Le travail est titanesque, mais des solutions existent.
- Construire des passerelles
« Contrairement aux Pays-Bas, la France a conçu ses infrastructures sans jamais penser au vélo », souligne Frédéric Héran. Résultat, entre 1950 et 1975, le nombre de cyclistes français a été divisé par six. Exemple frappant, « il y a encore dix ans, la Seine était infranchissable sur 50 kilomètres aux cyclistes, à moins de se mettre en danger », illustre l’économiste. Mal parti, le pays ne peut que se rattraper. « Pour éviter les coupures, il n’y a pas 36 solutions, il faut les enjamber », estime Geneviève Laferrère, présidente de la Fédération française des usagers de la Bicyclette (FUB). Telle est l’option retenue par la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) qui depuis 1994 investit 500 000 euros pour « traiter » une coupure par an. En 2014, la municipalité a misé plus gros, déboursant 8,5 millions d’euros pour la construction d’une passerelle enjambant à la fois l’autoroute et les voies ferrées au nord de la ville.
- Tracer des routes à vélos
A Strasbourg toujours, le maire Roland Ries dénonce un « partage inégal de l’espace très favorable à la voiture ». La municipalité projette donc de construire un réseau routier spécialement dédié au vélo. En 2020, Vélostras, un réseau vélo express, sorte de périphérique cyclable, devrait mailler toute la CUS. Egalement à l’étude à Bordeaux, « les vélos routes constituent l’une des meilleures manières de surmonter les effets de coupure », à en croire Dominique Lebrun, coordonnateur interministériel pour le développement de l’usage du vélo. « Mais ce sont des investissements très très lourds qui incombent aux collectivités et auxquelles certaines peinent à consentir », reconnaît-il. Consciente de ce coût, Geneviève Laferrère le juge néanmoins « incontournable ». « Pour l’automobile, on a déjà toutes les réponses, investir pour les cyclistes c’est réparer une injustice », estime-t-elle.
- Réduire la vitesse
Si chère soit-elle, la route à vélos ne doit pas être l’unique solution. C’est en tout cas ce qu’estime Luc Gwiazdzinski, géographe et chercheur en aménagement et urbanisme. « Soit on prend le parti de séparer les flux, de cloisonner les modes de transport, et lorsqu’on veut développer un nouveau moyen de transport on rajoute un tube. Soit on reconnaît que la ville est un lieu de frottement, un lieu d’échange, et on fait le pari de l’intelligence de la cohabitation », analyse-t-il. Pour que piétons, cycles et véhicules motorisés circulent en bonne intelligence, un seul levier a fait ses preuves : la réduction des vitesses maximales.
L’Allemagne en a fait la démonstration. « Dans les années 1980, le pays a réduit la vitesse pour éviter que les enfants se fassent écraser rappelle Frédéric Héran. L’effet immédiat mais non voulu c’est que le nombre de cyclistes a explosé », constate-t-il, plaidant pour une extension des zones 30 permettant aux cyclistes et automobilistes de rouler au diapason. Mais quid alors des zones rurales, de leurs nationales et départementales ? Bon gré mal gré, l’économiste prône alors la solution des tubes. « Au-dessus de 50 km/heure, il faut une piste cyclable », tranche-t-il.
- Convertir les autoroutes en boulevard urbain
La bête noire du cycliste, c’est l’axe tout voiture. Pour supprimer cette coupure en évitant de débourser les millions d’euros nécessaires à la construction de ponts, Frédéric Héran prône leur reconversion. « On y ajoute des trottoirs et des passages piétons, on abaisse la limitation de vitesse et l’on obtient un boulevard urbain. Les cyclistes mais aussi les piétons peuvent alors se réapproprier ces espaces. » Au risque de voir les automobilistes pester dans les bouchons ? « Non, assure l’économiste. Depuis quinze ans,on sait qu’en réduisant la vitesse, on réduit le trafic, car le vélo et les transports publics deviennent alors plus attractifs. »
- Permettre la traversée de parcs, d’hôpitaux, de zones industrielles
En plus des coupures linéaires, des surfaces entières se dérobent aux cyclistes : parcs, hôpitaux, cimetières, zones d’activité doivent la plupart du temps être contournés. L’ouverture d’un axe les traversant permet de faire gagner de précieuses minutes. « On peut aussi s’appuyer sur les voies vertes, d’abord pensées comme des aménagements touristiques, pour développer les trajets du quotidien », estime Dominique Lebrun. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, les berges du canal pourraient constituer un itinéraire sans coupure. « Le gros problème, c’est que la ville de Paris possède certains tronçons, les neuf communes traversées et la communauté d’agglomération en gèrent d’autres, sans compter les propriétaires privés, souligne Geneviève Laferrère. Les coupures administratives rendent la prise de décision extrêmement compliquée. »
- Supprimer les feux
Aux bretelles d’autoroutes, voies ferrées et macro-coupures, s’ajoutent les feux rouges, nids de poule, interruptions de pistes cyclables et micro-coupures qui émaillent les villes et transforment les balades de santé en parcours du combattant. Le feu rouge, par exemple, « est exclusivement pensé pour la voiture, il suppose des ralentissements, des accélérations. C’est un cauchemar pour les vélos », souligne Geneviève Laferrère. La ville de Bordeaux a donc décidé d’en supprimer 150. D’autres mettent en place des « ondes vertes » réglées sur le passage des vélos à 20 km/h. « L’idée, c’est d’inverser la perspective, résume Luc Gwiazdzinski. On part du plus faible, le piéton, et on ne prend en considération la voiture qu’au dernier stade de la réflexion. »
- Multiplier les voies à doubles sens cyclables
A vol d’oiseau, votre destination est à trois coups de pédale. En respectant le Code de la route et évitant les rues à contre-sens, elle s’éloigne. Pourtant deux panneaux et un pot de peinture suffisent à rendre aux cyclistes leur vélocité. « Les villes ont tendance à tracer des pistes allant dans le même sens que la circulation, ce n’est pas indispensable. Pour le même prix, elles peuvent installer des doubles sens cyclables » , plaide Frédéric Héran. Depuis 2010, ces aménagements sont la règle en zones 30 et les municipalités peuvent faire le choix de les généraliser. Le tout sans accroître le danger, puisque le double sens améliore la visibilité.
Pour Frédéric Héran, l’ensemble de ces aménagements, « ne fait que s’inscrire dans un mouvement historique de prise en compte des cyclistes ». Initiée aux Pays-Bas dans les années 1970, puis en Allemagne la décennie suivante, cette tendance émerge lentement en France depuis les années 1990. « Si la France a pris du retard c’est qu’elle a délaissé l’aménagement du territoire », commente Luc Gwiazdzinski. Pour mettre un terme au règne du tout voiture, il est selon lui « urgent qu’elle s’en réempare ».
Amélie Mougey