Imaginer une métropole augmentée
Par Luc Gwiazdzinski
La « fabrique métropolitaine » n’est pas qu’une
question mécanique et quantitative de dépassement de limites
administratives et d’accroissement du nombre d’habitants. C’est d’abord
et avant tout une démarche qualitative et hors les murs, un processus
continu permettant d’imaginer les contours d’une « métropole augmentée ».
Enchanter le territoire
Face à la demande de réassurance d’une population en mal de repères, il est nécessaire de construire une « figure territoriale »
même imparfaite, dans laquelle peuvent se développer les enjeux,
s’élaborer les stratégies et se définir des politiques. L’invention du
territoire a des bienfaits qui dépassent les seuls aspects
technico-administratifs. Au-delà du nouveau mécano institutionnel et du
projet métropolitain qui devront naître d’un travail collectif, il faut
« éditorialiser » la métropole, définir un « grand récit » qui donne du sens, construire une « figure métropolitaine partagée » qui permette de travailler ensemble. Il faut construire un « imaginaire métropolitain » qui dépasse celui de « la métropole subie des encombrements et des pollutions ».
En ce sens le ré-enchantement du lien entre la ville et la montagne
est indispensable, obligeant à changer d’échelle et à prendre de la
hauteur. La relecture des multiples apports des immigrations italienne
et maghrébine est une autre nécessité. Si la Tour Perret est un symbole
architectural de la métropole, il faut alors la restaurer au plus vite.
Le téléphérique qui mène au haut-lieu de la Bastille est sans doute plus
signifiant pour les Grenoblois et les visiteurs. Dans ce cas les
projets de transport par câbles qui resurgissent sont essentiels.
Au-delà des seuls arguments techniques et financiers, ils
contribueront au renforcement d’une identité métropolitaine en mouvement
par le lien avec l’industrie et les savoir-faire régionaux, par la mise
en scène ludique et touristique de la métropole des hauteurs, par
l’émergence d’un « cinquième paysage » (après le bâti urbain,
l’Isère, l’autoroute et la montagne) et comme symbole lisible et
fonctionnel du lien revivifié entre ville et montagne. Il faut choisir
cette route haute, rendre la métropole désirable, l’érotiser, écrire une
feuille de route qui rassemble et lui donner de la chair en ouvrant
quelques chantiers à la hauteur des ambitions.
Ouvrir des chantiers
Il faut d’abord faire tomber les frontières entre recherche et
expérimentation, citoyens et décideurs pour construire un écosystème
métropolitain, à partir d’une « plate-forme territoriale d’innovation ouverte »
qui croise les compétences de différents acteurs : collectivités,
entreprises, associations, créatifs et citoyens autour de l’idée de « métropole augmentée ».
Un territoire qui se développe, qui attire et où chacun se sent bien
est un territoire organisé où l’on se rencontre. En ce sens, Grenoble
doit s’attacher à définir une nouvelle « métropolité »,
c’est-à-dire une urbanité particulière à cette échelle qui passe par la
définition d’espaces publics et de lieux de rencontre de qualité
(places, cheminements…) mais également par la définition de grands
moments métropolitains, de grands événements qui permettent à des hommes
et des femmes aux emplois du temps et aux territoires vécus éclatés, de
« faire métropole ».
Elle doit sculpter des temps communs, construire un « urbanisme des temps »
en soignant également ses saisons, ses dimanches, ses nuits, tous ces
temps particuliers qui font aussi la dynamique et l’identité d’un
territoire. Face aux embouteillages, elle peut répliquer par un « pacte de mobilité »
qui joue sur les horaires de travail. Face à l’absence d’espace, elle
doit penser ses bâtiments et ses espaces publics en termes de
modularité, de malléabilité et de polyvalence en évitant de traduire la
moindre demande de service en nouvel espace consommé.
Grenoble doit prendre soin de celles et ceux nombreux qui viennent
d’ailleurs pour étudier, travailler ou se divertir mais votent ailleurs,
là où ils dorment. Elle doit imaginer de nouvelles formes d’association
de ces habitants temporaires à la vie de la métropole en développant
une « citoyenneté éphémère ». Elle doit également se doter d’une politique touristique qui associe les touristes à la construction du territoire.
Plus que de limites strictes, Grenoble a besoin de définir des « projets d’intérêt métropolitains » qui permettent de focaliser les énergies sur de vraies ambitions collectives. Elle doit se doter de « compétences métropolitaines » sur des politiques à cette échelle comme les transports ou l’environnement par exemple.
Il faut éviter de transformer les nouvelles limites en frontières en
développant les coopérations à différentes échelles de la région à l’Arc
Alpin. Enfin et surtout, construire une métropole augmentée, nécessite
de connaître et de prendre soin des « métropolitains » ces être étranges et mal connus qui vivent là, à cette échelle. Vous, moi et tous les autres.
Les quelques pistes proposées font partie d’un plaidoyer pour un large débat autour de l’idée de « métropole augmentée », l’envie d’une réflexion qui dépasse les bornes autour d’un territoire pensé comme une « plateforme d’innovation ouverte », sans chapelles, ni frontières. Un petit territoire du Jura nous a prévenus : « le Haut-Saugeais n’a pas de frontières, ce sont ses voisins qui sont bornés ».
Luc Gwiazdzinski
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