Quel temps est-il ?
Eloge du chrono-urbanisme
Nouvelles ambitions. Au-delà de ces premières adaptations individuelles ou collectives, il est indis- pensable de passer à une approche chronotopique de la ville où le « chronotope » est défini comme « lieu de confluence de la dimension spatiale et de la dimension temporelle ». Nous devons prendre en compte les rythmes dans l’observation et l’aménage- ment et construire une « rythmanalyse », dont Henry Lefebvre avaient bien mesuré les enjeux et convo- quer chorégraphes et musiciens à ces « danses de la ville ». Il est possible de concevoir un « urbanisme des temps » ou “chrono-urbanisme” défini comme « l’ensemble des plans, organisations des horaires, et actions cohérentes sur l’espace et le temps qui permettent l’organisation optimale des fonctions techniques, sociales et esthétiques de la ville pour une métropole plus humaine, accessible et hospita- lière ». Dans une logique de développement durable, nous devons également réfléchir à un « urbanisme temporaire » qui s’intéresse aux modes d’occupation partiels des espaces et temps de la ville et aux « calendriers » et permette de coordonner les activi- tés et d’assurer la polyvalence et la modularité des espaces autour de l’idée de « ville malléable », une cité durable que l'on pourrait façonner sans qu'elle se rompe. Ce nouvel urbanisme nécessite l’émer- gence de nouveaux professionnels, managers des temps, chargés de mettre en musique les rythmes de la ville et de trouver le bon tempo.
Eloge du chrono-urbanisme
Revue Vues sur la ville n 30, mai 2013
Luc Gwiazdzinski
http://www.unil.ch/webdav/site/ouvdd/shared/VsV/vues_Sur__ville_No30_2013.pdf
Nouveaux régimes. Ces mutations ont transformé notre rapport à l’espace et au temps et fait exploser les cadres spatio-temporels classiques de la quoti- dienneté et les limites des territoires et calendriers d’usage. Unifiés par l’information, les hommes n’ont jamais vécu des temporalités aussi disloquées. A une concomitance des espaces et des temps a succédé un éclatement, une disjonction conjuguée à une nouvelle temporalité. La flexibilité généralisée des temps sociaux alliée à la diversification des pra- tiques à l’intérieur de chaque temps social dessinent de nouvelles « cartes du temps », de nouveaux régimes temporels différenciés selon les situations sociales, les sexes, les générations et les territoires.
Luc Gwiazdzinski
http://www.unil.ch/webdav/site/ouvdd/shared/VsV/vues_Sur__ville_No30_2013.pdf
"L'espace est la forme de ma puissance,
le temps est la marque de mon impuissance."
Jules Lagneau
A la question banale du “temps qu’il fait” qui occupe
une partie de nos conversations quotidiennes, nous
pourrions susbstituer la complexité du questionne-
ment sur le “temps qu’il est” dans nos vies et dans
nos villes qui pourrait les enrichir. Au delà de l’anecdote, on peut constater que le
temps est longtemps resté le parent pauvre des
réflexions sur le fonctionnement, l’aménagement
ou le développement des villes et des territoires
au bénéfice des infrastructures. Chercheurs, pro-
fessionnels et politiques ont souvent abordé la
ville comme une entité amputée, fonctionnant seize
heures sur vingt-quatre et cinq jours sur sept. On a
longtemps aménagé l’espace pour gagner du temps
mais on a plus rarement fait l’inverse. Pourtant,
les systèmes urbains ne sont pas figés. Ils évo-
luent selon des rythmes quotidiens, hebdomadaires,
mensuels, saisonniers ou séculaires, mais aussi
en fonction d’évènements et d’usages difficiles à
articuler. Les horaires et les calendriers d’activités
des hommes et des organisations donnent le tempo,
règlent l’occupation de l’espace et dessinent les
limites de nos territoires vécus, maîtrisés ou aliénés.
Mais les temps changent. L’évolution rapide de nos
modes de vie nous oblige à changer de regard et
à adopter le temps comme autre clé de lecture et
d’écriture de nos villes.
Mutations rapides. Les rythmes de nos vies et de
nos cités se transforment sous l’effet de phénomènes
concomitants : individualisation des comportements
et abandon progressif des grands rythmes collectifs
; urbanisation généralisée ; tertiarisation ; diminution
du temps de travail ; apparition d’un temps global,
développement des TIC qui donnent l’illusion d’ubi-
quité à des individus qui veulent souvent tout, tout
de suite, partout et sans effort. Plus globalement, la
dictature de l’urgence, l’hypertrophie du présent et
la survalorisation du passé s’accompagnent d’une
incapacité à penser le futur et à se projeter pour
construire notre avenir. Notre société semble malade
du temps.
Nouveaux régimes. Ces mutations ont transformé notre rapport à l’espace et au temps et fait exploser les cadres spatio-temporels classiques de la quoti- dienneté et les limites des territoires et calendriers d’usage. Unifiés par l’information, les hommes n’ont jamais vécu des temporalités aussi disloquées. A une concomitance des espaces et des temps a succédé un éclatement, une disjonction conjuguée à une nouvelle temporalité. La flexibilité généralisée des temps sociaux alliée à la diversification des pra- tiques à l’intérieur de chaque temps social dessinent de nouvelles « cartes du temps », de nouveaux régimes temporels différenciés selon les situations sociales, les sexes, les générations et les territoires.
Tensions. Confrontés à cette désynchronisation, nos
emplois du temps craquent. Chacun jongle avec
le temps entre sa vie professionnelle, familiale et
sociale, son travail et ses obligations quotidiennes.
Face à la responsabilisation accrue et aux difficultés
d’arbitrage, « la fatigue d’être soi » guette les plus
fragiles. A d’autres échelles, les conflits se multiplient
entre les individus, les groupes et les quartiers de la
« ville polychronique » qui ne vivent plus au même
rythme. Plus grave, de nouvelles inégalités appa-
raissent entre populations, organisations et territoires
inégalement armés face à l’accélération et à la com-
plexification des temps sociaux.
Premiers arrangements. Confrontés à ces mutations les individus et les territoires s’organisent. Les
politiques des temps de la ville nés en Italie dans les
années 90 ont essaimé en Allemagne, aux Pays-Bas,
en Espagne et en France. Des outils d’observation
et de négociation ont été élaborés, des expérimen-
tations ont été lancées (horaires de services, trans-
ports, crèches...) et l’approche irrigue peu à peu
d’autres politiques publiques. Partout les calendriers
de nos « saisons urbaines » se noircissent « d’évé-
nements » qui permettent de « faire famille » ou « ter-
ritoire » et de maintenir une illusion de lien social face
à un quotidien éclaté. Quelques personnes craquent
et décident de lâcher prise, d’autres plus nom-
breuses optent pour les loisirs lents (marche, yoga,
jardinage, brocante...), chercheurs et essayistes font
l’éloge de la lenteur alors que des réseaux comme
Slow Food et Cittaslow se développent.
Nouvelles ambitions. Au-delà de ces premières adaptations individuelles ou collectives, il est indis- pensable de passer à une approche chronotopique de la ville où le « chronotope » est défini comme « lieu de confluence de la dimension spatiale et de la dimension temporelle ». Nous devons prendre en compte les rythmes dans l’observation et l’aménage- ment et construire une « rythmanalyse », dont Henry Lefebvre avaient bien mesuré les enjeux et convo- quer chorégraphes et musiciens à ces « danses de la ville ». Il est possible de concevoir un « urbanisme des temps » ou “chrono-urbanisme” défini comme « l’ensemble des plans, organisations des horaires, et actions cohérentes sur l’espace et le temps qui permettent l’organisation optimale des fonctions techniques, sociales et esthétiques de la ville pour une métropole plus humaine, accessible et hospita- lière ». Dans une logique de développement durable, nous devons également réfléchir à un « urbanisme temporaire » qui s’intéresse aux modes d’occupation partiels des espaces et temps de la ville et aux « calendriers » et permette de coordonner les activi- tés et d’assurer la polyvalence et la modularité des espaces autour de l’idée de « ville malléable », une cité durable que l'on pourrait façonner sans qu'elle se rompe. Ce nouvel urbanisme nécessite l’émer- gence de nouveaux professionnels, managers des temps, chargés de mettre en musique les rythmes de la ville et de trouver le bon tempo.
Obligation et opportunité. L’approche temporelle
est essentielle car elle renvoie à l’homme, à son
vécu et à ses aspirations. Elle remet le citoyen
au centre du débat et se situe au croisement des
demandes actuelles de la population : qualité de la
vie quotidienne, proximité, convivialité et démocratie
participative. Elle oblige à œuvrer collectivement
en dépassant les barrières professionnelles, admi-
nistratives ou géographiques. En mettant en place
les conditions d’un débat public on peut espérer
retrouver la maîtrise de nos temps de vie, échapper
à la dictature de l’urgence, lutter contre les nou-
velles inégalités sans renvoyer l’arbitrage sur les
plus faibles. L’occasion est belle de reconquérir des
marges de manœuvre et de reprendre en main notre
futur autour de choix tels que la qualité de la vie et
le développement durable. En géographe, urbaniste,
aménageur et futurs “temporalistes”, il serait bon de
contredire Jules Lagneau et d’apprendre ensemble
à “habiter le temps” selon la belle expression de feu
Jean-Marie Tjibaou.
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