mercredi 17 décembre 2014

"Il faut développer la ville malléable", Interview, Luc Gwiazdzinski, L'Express, 16 décembre 2014

Strasbourg: "Il faut développer la ville malléable"
Interview, L'Express, 16 décembre 2014

Strasbourg doit-elle devenir plus festive la nuit pour mériter son statut de capitale européenne?
C'est nécessaire si elle veut rester dans la course. Une ville qui attire et se développe a forcément une activité nocturne. Le marketing nocturne, ça existe!

L'image de Strasbourg n'est-elle pas à la hauteur?
Il y a eu un début d'évolution. Depuis quelques années, par exemple, les cartes postales présentées en ville ont évolué. Autrefois, 90% des images étaient prises de jour. Aujourd'hui, avec l'éclairage des monuments, les représentations nocturnes sont devenues plus nombreuses.

Mais la vie nocturne n'est pas qu'une affaire de touristes. C'est d'abord une question de bien-être pour les citadins...
C'est une question de société. La nuit est une caricature du jour. Si on arrive à régler les conflits du vivre ensemble la nuit, on arrivera d'autant mieux à les régler le jour. Les SDF, qui sont déjà exclus de jour, sont ­totalement hors course la nuit. A l'inverse, un citadin bien intégré en journée grâce aux réseaux sociaux aura une infinité de choix s'il veut passer une bonne soirée...

Quels changements avez-vous observé dans les comportements nocturnes?
Les gens consomment la ville différemment. On leur interdit de fumer dans les bars? Ils sortent dans la rue. Le téléphone portable a aussi changé les choses. Jusqu'au dernier moment, on ne sait pas où l'on va. Un coup de fil permet de connaître les lieux animés et de s'y rendre. Les soirées se nomadisent. Ces pratiques, il est impossible de les organiser.

Doit-on séparer les lieux de vie de la journée et ceux de la nuit pour disposer d'une ville apaisée?
On a beaucoup travaillé sur du développement urbain séparé: un endroit où l'on dort, un autre où l'on travaille, un troisième où l'on s'amuse, un dernier où l'on s'approvisionne. L'industrie, l'artisanat et la culture, moteur de la vie nocturne, ont été sortis de la ville. Si on continue ainsi avec les restaurants et les bars, on va finir par la tuer!

Quelle serait la solution?
La nuit, c'est un temps habité. Strasbourg doit enfin organiser ses états généraux de la nuit, comme Paris ou Lausanne. On y inviterait les étudiants, les associations, les personnes âgées, les représentants de la chambre de commerce pour un diagnostic participatif. Une solution innovante que les Strasbourgeois n'ont pas encore exploitée.

Cette intelligence collective peut- elle aussi régler les problèmes d'engorgement en journée?
Oui, bien sûr. Les premières politiques temporelles sont apparues en Italie. Strasbourg a mis en place un bureau du temps, c'est un premier pas. Je développe l'idée d'une ville malléable. Il faut arrêter de construire un bâtiment par fonction. L'exemple criant, c'est celui du Parlement européen. Il n'est utilisé que trois jours et demi par mois, on aurait pu faire beaucoup mieux! Faisons en sorte que les bâtiments existants servent à une chose différente le matin, l'après-midi, le soir et la nuit.

Votre concept de ville malléable peut-il fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre?
Tout à fait. Une place de mairie peut, le soir, devenir un terrain de football. Avec un mobilier urbain qui se transforme, elle pourrait même devenir une scène de théâtre. Aujourd'hui, quand on a l'idée d'un théâtre, on fabrique un "objet célibataire", on le pose en périphérie, on s'y rend un soir et, le reste du temps, il ne fonctionne pas. Il faut réinventer de nouvelles règles pour que les habitants des grandes villes puissent travailler ensemble sur la succession des activités, de nuit comme de jour. Les artistes peuvent nous aider à repenser l'espace public.


En savoir plus sur :
http://www.lexpress.fr/region/alsace/strasbourg-il-faut-developper-la-ville-malleable_1630560.html#j1vmZB0FrsDmjgM3.99

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