http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/10/contre-feu-cinq-principes-demain-257006
Deux actes horribles ont été perpétrés à deux jours d’intervalle. Dans les bureaux de Charlie Hebdo, ont été assassinés des gens remarquables, quelles que soient leur profession ou leur raison de se trouver là. Des figures singulières, qui préféraient l’insoumission aux leçons de pureté des religions comme des nations, ont été réduites au silence. Dans un supermarché casher, des anonymes ont été pris en otages et tués. Nous exprimons notre sympathie et nos condoléances aux familles touchées et à leurs proches.
Ces actes sont injustifiables. Cette violence, drapée dans l’intégrisme, est intolérable, même si elle vient nous rappeler tous les défauts des politiques d’intégration de la France. Réformer ces politiques, faire entendre l’arabe dans le métro comme n’importe quelle langue européenne par exemple, est une tâche essentielle. Mais elle ne suffira pas à empêcher la reproduction de tels actes.
La première question est de l’ordre de la résistance : comment protéger des sursauts néolibéraux et policiers ce à quoi nous tenons, nos existences et celles de nos proches, nos formes de vie, de collaboration, de solidarité ?
Mais la seconde tient de l’héritage choisi plutôt que subi : comment rire et se moquer encore, comment créer de nouveaux mondes à vivre, sans avoir à s’agenouiller devant le caporal chef ou le prêtre (dont la soutane est parfois bleu blanc rouge) ?
S’orienter au sein du désarroi présent
Le feu qui a frappé ces deux jours ne vient pas de nulle part. La « barbarie », la « folie meurtrière », le « terrorisme », le « fanatisme djihadiste » sont des constructions de moyenne portée, faites d’abandons et de rejets qui ont trouvé la légitimité qui leur manquait.
L’impératif premier est d’identifier ces politiques destructrices, de comprendre certaines de leurs causes plus profondes, de distinguer entre les réactions qui contribuent à les alimenter et celles qui aident à les éteindre – pour mieux faire vivre et revivre notre désir de vie plurielle et ouverte. Pour nous orienter au sein du désarroi présent, nous proposons les cinq principes suivants.
1. Nous rejetons tous les discours va-t-en-guerre
Tous ceux qui en appellent à la « guerre » contre le terrorisme ne font que jeter de l’huile sur le feu.
Comme l’ont montré les échecs des années Bush, toute « guerre contre le terrorisme » ne fait que nourrir « le terrorisme », ou saper les bonnes raisons pour lesquelles on se bat contre lui.
Contre les cris parallèles de ceux qui en appellent à la guerre, « sainte » ou « républicaine », cultivons des politiques de paix.
2. Nous refusons de désigner nos ennemis ; nous identifions des poisons
Plutôt que des ennemis contre lesquels nous battre, identifions les poisons qui poussent certains d’entre nous à devenir nos ennemis.
Neutraliser ces poisons, en penser puis en diffuser les antidotes fera la force des politiques de paix qui permettront à demain d’échapper aux vengeances d’hier.
3. Nous comprenons la puissance des émotions ; nous cherchons les raisons du cœur
Nous sommes tout autant dégoûtés par les appels à la vengeance face à l’assassinat de Charlie Hebdo que par les messages de jubilation face à l’accomplissement d’une fatwa.
Aussi inquiétants soient-ils, ces sentiments n’en sont pas moins des réalités à prendre en compte. Et dont il faut essayer de saisir les causes motrices. Même « irrationnelles », les émotions d’autrui doivent être respectées en tant que telles.
Comprendre leurs raisons, en réduire ou éliminer les causes, en particulier par l’éducation et le partage des connaissances, est la seule façon d’en déjouer à terme les effets dévastateurs !
4. Nous défendons la liberté ; nous la reconnaissons comme inséparable de l’égalité qui ne peut aujourd’hui être que planétaire
Le poison djihadiste et ses ersatz intégristes sont à traiter comme des symptômes de déséquilibres profonds, exacerbés par l’intensification parallèle des communications planétaires et des inégalités locales.
Nous souhaitons tous défendre la liberté, de pensée, d’expression, de la presse et des médias, mais aussi et surtout de tous les citoyens du monde désirant rire et crier.
Ce souhait restera cependant vain, pieux et inefficace tant qu’il ne s’articulera pas à des politiques de paix et à la construction d’autres systèmes de pensée et de vie, fondés sur la réduction des inégalités : inégalités économiques entre les différentes régions d’un monde aux communications fluidifiées ; inégalités sociales entre les quartiers de métropoles ghettoïsées ; inégalités d’accès à la visibilité et à la légitimité médiatique.
5. Nous savons que certains feux se nourrissent des regards qui les attisent : faisons attention à nos attentions
Une des particularités de nos sociétés médiatiques est qu’elles se restructurent autour d’attracteurs d’attention dont « le terrorisme » fournit l’illustration la plus emblématique : il y a des actes « terroristes » parce que (et pour que) nos médias parlent de ces actes « terroristes ».
Les politiques de paix impliquent de considérer nos attentions comme une ressource trop précieuse pour se laisser happer dans cette dynamique d’auto-consomption.
Soyons des hérétiques de la plume, du crayon ou même du bois, du béton, du silicium et de la pâte à crêpes, avec des yeux furetant dans toutes les directions.
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